Quel tribunal pour juger les ministres ?


Publié le 25/07/2012 | 09:57 , mis à jour le 25/07/2012 | 09:57

L'ancien Premier ministre Laurent Fabius a comparu en 1999 devant la Cour de justice de la République, qui l'a relaxé dans l'affaire du sang contaminé.
(ERIC CABANIS / AFP)

C'est une institution méconnue du grand public que François Hollande a promis, durant la campagne présidentielle, de supprimer. En attendant, la Cour de justice de la République (CJR), chargée de juger les infractions commises par les ministres dans l'exercice de leurs fonctions, poursuit sa paisible existence. Mardi 24 juillet, l'Assemblée nationale a élu en son sein les six nouveaux députés (quatre socialistes et deux UMP) qui y siégeront pour la durée de la mandature. Car dans cette juridiction, les juges sont des parlementaires. Focus sur cet ovni dans le paysage juridictionnel français.

La Cour de justice de la République, comment ça marche ?
Lorsqu'une infraction commise par un actuel ou un ancien membre du gouvernement est constatée, les tribunaux classiques ne sont pas compétents si l'infraction a eu lieu dans l'exercice de ses fonctions ministérielles. Entre la plainte et une hypothétique condamnation, la procédure est lourde et complexe.
Le plaignant doit d'abord saisir la commission des requêtes de la CJR, constituée de hauts magistrats de la Cour des comptes, du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation. C'est le premier filtre.
Ensuite, le dossier est transmis à la commission de l'instruction, formée de six juges de la Cour de cassation. Cette commission peut également être saisie directement par le procureur général près la Cour de cassation. Cela a par exemple été le cas concernant l'affaire de l'hippodrome de Compiègne visant l'ancien ministre du Budget Eric Woerth, ou l'affaire "Tapie" contre l'ex-ministre de l'Economie Christine Lagarde.
Au terme de l'instruction, qui peut durer plusieurs années, la commission de l'instruction a deux solutions : abandonner les poursuites ou renvoyer le dossier devant la Cour de justice de la République à proprement parler, qui jugera l'affaire. Dans ce cas, le ministre fait face à quinze juges : trois magistrats élus au sein de la Cour de cassation, six députés et six sénateurs (voir la composition complète sur le site Legifrance)

Une activité faible...
Avant 1993, un ministre mis en cause ne pouvait comparaître, comme le président de la République, que devant la Haute Cour de justice, après y avoir été renvoyé par un vote du Parlement. Une hypothèse hautement improbable. Dans un contexte riche en affaires politico-financières, il a été décidé cette année-là de créer la Cour de justice de la République, et de confier les poursuites et l'instruction à des magistrats.
Mais en presque vingt ans d'activité, la CJR s'est illustrée par la lenteur de ses enquêtes, le faible nombre d'affaires parvenues au stade du jugement et la clémence de ses décisions. Peut-être parce qu'il est plus délicat pour un politique de se montrer ferme avec l'un des siens ? En tout et pour tout, seules quatre affaires ont donné lieu à un procès devant la CJR.

...et des peines légères
Le procès le plus célèbre fut celui du sang contaminé, qui vit comparaître trois anciens ministres socialistes. En 1999, quinze ans après les faits, Laurent Fabius (ex-Premier ministre) et Georgina Dufoix (Affaires sociales) ont finalement été relaxés, tandis qu'Edmond Hervé (ex-ministre de la Santé) a été reconnu coupable mais dispensé de peine.
L'année suivante, Ségolène Royal, attaquée par deux enseignants marseillais pour une banale affaire de diffamation, est relaxée par la Cour. La CJR reprend du service en 2004 et condamne Michel Gillibert, ancien secrétaire d'Etat aux Personnes handicapées de 1988 à 1993, à trois ans de prison avec sursis, 20 000 euros d'amende et cinq ans d'inéligibilité et d'interdiction de vote, pour des faits d'escroquerie au préjudice de l'Etat. C'est la plus lourde peine prononcée à ce jour par la CJR.
Dernier ministre à avoir comparu à ce jour : Charles Pasqua, poursuivi pour trois affaires de malversations présumées, est relaxé en 2010 dans deux d'entre elles et condamné à une peine d'un an de prison avec sursis dans la troisième, alors que l'avocat général avait réclamé quatre ans dont deux ferme contre l'ancien ministre de l'Intérieur (1993-1995).
Actuellement, les affaires Lagarde et Woerth n'en sont qu'au stade de l'instruction. Rien ne garantit donc la tenue d'un procès dans les mois à venir.

La fin de la CJR ?
Lors de chacune de ses décisions – pourtant rares – la Cour de justice a essuyé diverses critiques. Après l'arrêt rendu dans les affaires Pasqua, l'ancien garde des Sceaux socialiste Robert Badinter s'était montré sévère : "Il n'y a pas de raison que les ministres soient jugés pour des affaires de corruption autrement que les citoyens ordinaires. Il faut supprimer la Cour de Justice de la République comme les autres juridictions d'exception."
Pendant la campagne présidentielle, François Hollande s'est engagé à supprimer cette Cour, devant laquelle une victime ne peut pas se porter partie civile, afin que les ministres soient jugés par des juridictions de droit commun. Mais la réforme de la CJR n'est pas encore sur les rails. Le nouveau chef de l'Etat a d'abord demandé à la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique présidée par Lionel Jospin de "se prononcer sur les conséquences d'une suppression de la Cour de justice de la République".
Si finalement le gouvernement s'engageait dans cette voie, la suppression de la CJR nécessiterait une révision constitutionnelle, donc le ralliement de plusieurs parlementaires de droite, ce qui n'est pas acquis. Plutôt que de tout supprimer, le sénateur UMP François-Noël Buffet, qui siège comme juge à la CJR, propose de modifier la composition de la Cour : "On pourrait par exemple imaginer que les magistrats professionnels deviennent majoritaires par rapport aux juges parlementaires." Le débat ne fait que commencer.


Ilan Caro


http://www.francetvinfo.fr Juillet 2012